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PHILIPPE CAUBERE

PHILIPPE CAUBÈRE

Revue de presse :

Le condottiere Philippe Caubère,

Ballon d?Or 2006




EDITO de ACTUFOOT par Bernard Morlino ? 2006


En fait, le meilleur joueur 2006 c?est le Marseillais Caubère, ex-attaquant du FC Cartoucherie, transféré au Racing-Club du Rond Point des Champs Elysées.

Si vous devez venir à Paris, ne visitez pas la Tour Eiffel ou l?Arc de Triomphe, mais venez plutôt voir Philippe Caubère. L?artiste capital rêve à l?air libre. Souvenez-vous, il fut le père de Marcel Pagnol dans le film d?Yves Robert. Face à lui, vous serez devant un fils, un frère, un père, un amant, un aimant, du cousin, un ami, à la fois naïf et puissant. Il ne s?agit pas de scruter une bête curieuse au cours d?un one-man show. Ici, pas de monologue. Plutôt, une façon d?échapper au théâtre conventionnel par la sorcellerie d?un écrivain farceur. On assiste à l?éclosion renouvelée d?un homme de 0 à 30 ans, égrénant sa pensée en direct.

Voici l?enfance de l?art, l?époque bénie du temps de panoplies, des cabanes et de la sarbacane. Domaine où il excelle. Si vous ne connaissez pas encore Caubère, c?est parce qu?il ne s?éternise pas à la télévision. Il s?agit moins de mépriser les animateurs bonimenteurs que de ne pas s?éloigner de sa parole. Celle qui lui demande tant d?énergie pour la mettre en lumière, depuis un quart de siècle qu?il arpente la scène où il développe son imaginaire, simple, profond, tendre et féroce. Plus il parle de lui, plus il parle de nous parce qu?il ne triche pas avec sa solitude.

Le parallèle théâtre et foot est évident. Loges et vestiaires. Scène et terrain. Entraînement et répétitions. Acteur et joueur. Troupe et équipe. Metteur en scène et coatch. Représentation et match. En commun, ils ont : l?improvisation, le jeu et le public. Je n?oublie pas la spiritualité, n?en déplaise aux esprits bornés, le foot s?adresse à l?esprit duquel il provient, au même titre que le théâtre. Qui a vu Maradona et Caubère orchestrer le jeu sait de quoi je parle. Ceux qui ne retiennent que la violence des faux supporters sont les mêmes qui ferment les yeux devant les millions de morts des guerres de religion. Le foot et le théâtre ont leurs croyants et pratiquants, avec l?avantage d?avoir des dieux vivants.

Comme les films ne sont que des matchs en différé, Caubère a choisi la scène pour aller droit au but. Quand il rejoint en 1971 la Cartoucherie, le jeune espoir veut devenir universel, tel Zidane rêvant d?être international. Le premier n?a jamais bénéficié de la médiatisation du second car le théâtre n?est pas sponsorisé par des équipementiers tentaculaires. Où qu?il soit, Caubère joue à domicile. Claudine, sa mère, l?ayant doté de bons ménisques, il est rarement blessé.

A la différence de la plupart des acteurs, lui part de l?abstrait vers le concret. L?artiste nous touche parce qu?il a été ému auparavant. La commedia dell?arte, le carnaval, Shakespeare, Jacques Copeau, sont des lianes sur lesquelles ce diable d?homme s?accroche, faisant la nique aux théâtreux minés par l?ennui nationalisé. A la manière des grands dramaturges de l?histoire, il a trois ou quatre degrés de lecture. Et tout ça comme si de rien n?était. Archet et violon.



A la fois gardien et attaquant

Le fils de Claudine a réussi le pari de Rimbaud : écrire en marchant. A l?origine, il invente oralement ses spectacles par bribes, enregistre puis note ce qui mérite de l?être. Au début de son itinéraire solo, éveillant ce qu?il a de plus urgent en lui, il eût pour accoucheurs Clémence Massart et Jean-Pierre Tailhade lequel l?incita non pas à imiter les gens mais à être eux à travers lui. N?ayez pas peur de Caubère qui préfère l?émotion, l?art, la transposition, à la culture. Le c?ur oui ; l?intellect non. Entre l?exubérance et la pudeur, il voyage de la féroce hystérie au calme et vice versa, pour apaiser la tempête sous un crâne, au gré du tumulte.

Très tôt, Caubère réalisa qu?il ne voulait pas devenir notaire dans un téléfilm. Accumuler les rôles du répertoire ne le passionnait pas non plus. Il voulait rester fidèle à ses débuts, où il refesait le monde avec ses copains. La vie, l?amour et la mort sont ses marottes. Pour ne pas trahir Philippe (l?enfant et l?adolescent), Caubère (l?adulte) partit à la recherche du temps perdu. Extérieur et intérieur aux événéments, il vit le présent comme s?il s?agissait déjà d?un souvenir. Le comédien joue tous les personnages à l?égal des couleurs de l?habit d?Arlequin.

Caubère est au théâtre ce que Fernando Pessoa et ses hétéronymes sont à la littérature. Le rouge, c?est la mer. Le noir, c?est Ariane (Mnouchkine). Le blanc, c?est Ferdinand (l?alter ego). Le vert, c?est Josette. Ainsi de suite. Caubère sait : « Il était mille fois?. ». Imaginez un joueur qui soit à la fois gardien, arrière latéral, libéro, stoppeur, récupérateur, stratège, ailier, inter et avant-centre. Et qui saurait frapper de loin, de près, du gauche, du droit et de la tête. Sans parler des passes décisives, des ailes de pigeon et des pénaltys. Il se sert de son corps comme d?autres de la guitare électrique, mi Jimmy Hendrix, mi Marcel Marceau.

On entend et il écoute. On regarde et il voit. On parle et il dit, au-delà des apparences, avec la vista de Puskas et de Bacon réunis. Au lieu de se laisser broyer par les événéments, il prend l?existence par les cornes pour lui faire rendre l?âme. Son théâtre est l?ultime instant avant le bond vers le néant. Et ce bond, il le contrôle comme Garrincha maîtrisait le ballon au cours de ses dribbles fous. Cet ailier du théâtre joue collectif lors des six volets de l?Homme qui danse, où il passe de sa mère naturelle à sa mère surnaturelle, Ariane Mnouchkine, « la folle sainte » ou le contraire. Que d?amour chez l?athlète du verbe ! Le torrent des films de John Cassavetes?.

L?ironie et la tendresse sont omniprésentes dans les trois heures quotidiennes de l?Anapurna intime. Il s?accorde ici ou là deux jours de relâche au cours de ce mondial de théâtre. Cela revient à disputer dix matchs de suite entre le mardi et le samedi. On n?a pas besoin de contrôle sanguin pour vérifier son taux d?EPO. Depuis plus de trente ans, Caubère carbure à la passion. « Créer pour donner une forme à son destin ». Peu de comédiens illustrent l?aphorisme d?Albert Camus, le seul goal au monde à avoir eu un prix Nobel. L?ancien joueur du Racing universitaire d?Alger appela « l?Equipe » sa première troupe de théâtre. Ensuite, il signa au F. C. Gallimard.

Le Maradona du théâtre

Dans n?importe quel wagon du Caubère express, vous aurez l?impression de croiser André Suarès, Dullin, Artaud, Beckett, Zouk, Keaton, Céliine, les Marx Brothers, Devos et Fernand Raynaud. Sacrés clients d?une auberge espagnole quatre étoiles. Ne se prenant pas au sérieux, il est à Mnouchkine ce que La Grange fut à Molière. Il est hilarant de bout en bout. Jamais vulgaire. Ses allusions sexuelles sont irrésistibles. Le comédien auteur a une haute idée du public.

L?artiste nous console de la connerie humaine et communique sa joie de vivre à chaque seconde de sa partition gestuelle et verbale. L?obsédé textuel est une sorte de Jacques Brel qui chante Léo Ferré avec l?élan désespéré de Trenet. Le gentil a la dent dure d?un Daumier, croquant d?un trait l?essentiel des êtres. Son ?uvre organise le chaos. Mémoire sans nostalgie. Vivre ne lui suffit pas. Ses tirades valent les chorus de Miles Davis. Pour Caubère, l?Enfer, ce n?est pas les autres. La fin de ses spectacles est un adieu bref et déchirant.

Sa marche dans le vent est d?anthologie. Quand ses copains ont vécu, lui a vu. Ils ont oublié, lui a retenu. Caubère, la vigie. Caubère, la sentinelle. Caubère, le phare. Pas de jeu de mots. De la répartie et fraîcheur d?âme. Le professionnel est d?abord un amateur. Que s?est-il passé ? La vie, et il est resté jeune.

 
 
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